Le projet Coex est un projet multidisciplinaire et partenarial, avec deux coordinateurs Selim Louafi et Mathieu Thomas (généticien des populations au Cirad). Ils tiennent à ce regard pluriel.
Le projet COEX part de l’observation que les discours politiques portant sur les systèmes semenciers reposent essentiellement sur une vision binaire « formel/informel ». Cette caractérisation ne reflète ni la réalité du terrain, ni les résultats de nombreux travaux de recherche, qui vont à contre-courant de cette dichotomie. Nous sommes partis de ce constat pour construire le projet. Nous avons réfléchi à une série d’activités et un mode d’organisation de la recherche en partenariat qui pourraient permettre de dépasser cette binarisation du débat. C’était une façon politique de poser les termes d’un projet de recherche. Concrètement, notre action est passée par plusieurs voies.
Tout d’abord, et de manière classique, un travail de production de connaissances visant à renouveler les outils et méthodes de caractérisation des systèmes semenciers. Ce travail s’est effectué de façon essentiellement interdisciplinaire, combinant des méthodes et outils différents afin d’enrichir la caractérisation des systèmes semenciers. Une précision s’impose à ce stade : nous pensons que le vocabulaire même doit évoluer : en effet, l’expression « système semencier » est déjà très connotée. Elle sous-entend implicitement que hors de ce système, point de salut. Nous avons ainsi préféré l’utilisation de « systèmes de gestion de la diversité cultivée » certes plus long, mais qui reflète mieux ce dont on parle et qui permet de dépasser la binarisation dont il était question au départ… Essayer de changer la donne sur la manière dont on caractérise les systèmes de gestion de la diversité cultivée demandait d’engager une diversité de disciplines, de combiner des regards disciplinaires. On avait à notre disposition des analyses économiques, de filières, correspondant au secteur formel d’un côté, et des analyses anthropologiques très approfondies sur des contextes très spécifiques et localisés visant à montrer en quoi les semences contribuaient au fonctionnement d’un village, d’une localité, hors de tout lien avec le secteur formel d’un autre côté. Nous avons de notre côté cherché à explorer différents cadres conceptuels, avec différentes méthodologies dans différentes disciplines, comme par exemple le pluralisme juridique en droit, l’analyse institutionnelle en économie, l’analyse multi-échelle, la méta-analyse (tirer des enseignements des approches et données passées grâce à un cadre d’analyse commun), l’analyse de réseaux sociaux et l’analyse anthropologique.
Mais, au-delà de cette démarche de production de connaissance, nous avons également engagé une démarche réflexive en collaboration avec nos partenaires non-académiques (Organisations paysannes [OP] et ONG). Cette démarche visait à reconnaître que nous sommes, en tant qu’institution de recherche, interpellés comme acteurs sociaux intervenant sur ce système. À travers nos pratiques de collaboration avec les paysans ou de gestion de la biodiversité dans les collections de ressources génétiques, nous avons des pratiques qui peuvent également contribuer au maintien de cette binarisation. Ainsi, quand les chercheurs collaborent avec les producteurs dans le cadre de programmes de sélection participative par exemple, les différentes parties prenantes sont souvent, au moins inconsciemment, dans une forme de relation peu formalisée. Lorsque les chercheurs sont amenés à travailler avec le secteur privé sur la mise au point de nouvelles variétés par exemple, les choses sont bien plus formalisées (clauses de confidentialité, description des connaissances propres apportées, accords de propriété, etc.). Implicitement, derrière ce choix de formaliser ou pas, on perpétue la division formel-informel. D’où un travail réflexif sur nos propres pratiques, pour changer la façon dont on aborde à la fois la collaboration et la gestion de la diversité dans les collections. CoEx part du principe que si l’on veut que les choses changent, il faut aussi faire évoluer nos propres pratiques.
Nous sommes encore en phase d’analyse des résultats. Mais avoir pu mobiliser une telle diversité de méthodes, en avoir co-construites et testées certaines est déjà un résultat en soi. Chacune des méthodes, prise une à une, permet de mettre en évidence des résultats intéressants mais nous espérons aussi beaucoup du croisement des perspectives pour éclairer et enrichir le débat et montrer la diversité des systèmes de gestion de la diversité cultivée.
La co-construction de protocoles avec les organisations paysannes, le partage des résultats initiaux avec les partenaires a permis de mieux cibler les questionnements et leur analyse. Le changement d’échelle opéré pour certaines analyses va permettre de tirer des enseignements à un niveau macro qui pourrait donner une image moins strictement localisée ou spécifique au contexte que les analyses habituelles réalisée en anthropologie par exemple. Un protocole de collecte de données visant à caractériser la diversité cultivée dans les fermes, les modes d’approvisionnement en semence et les usages des productions à l’aide d’un nombre raisonnable de variables a été co-construit avec les OP et des organismes de recherche du Niger, Burkina-Faso, Mali et Sénégal. Cette collecte de données a été coordonnée sur les quatre pays avec une répartition uniforme dans l’espace des villages ciblés par l’étude, permettant d’élargir l’analyse sur le plan territorial. En matière de collaboration, on est parti des leçons tirées de projets passés en regardant comment ils ont été vécus par ceux qui y ont participé et les éventuels points d’achoppement ou de tensions qu’ils ont générés. Nous avons ouvert des espaces de discussions multi-acteurs sur ces questions relatives à l’accès aux terrains, aux ressources génétiques, aux protocoles de collecte des données, à la valorisation. De la même manière, nous avons utilisés les tensions issues de l’établissement de nos propres cadres de collaboration au sein de CoEx pour en faire un objet même de nos réflexions et avec l’idée d’élaborer des solutions collectivement afin de générer plus de confiance et d’esprit de collaboration. Ce travail a conduit à la publication d’un manuel pour les projets collaboratifs sur les semences entre organisations paysannes et institutions de recherche.
Idem sur gouvernance des banques de gènes, avec l’idée d’ouvrir la réflexion à une diversité d’acteurs.
Contribuer à la structuration de la communauté AGRO figurait parmi les objectifs du projet : arriver à croiser regards, entre universitaires et chercheurs, entre différentes disciplines, avec différents partenaires. Le projet a rassemblé 17 partenaires, en provenance du monde académique, non académique, du Nord, du Sud, en suivant un mode de fonctionnement qui a permis de maintenir une cohésion tout au long de la durée du projet. Dès le départ, il a rencontré une forte adhésion. Celle-ci ne s’est pas érodée, bien au contraire. À tel point que de nouveaux projets prennent la suite, en Afrique de l’Ouest notamment (avec par exemple un projet monté par Mooriben, l’OP nigérienne membre de Coex sur un appel d’offre de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, Cedeao, ou encore le nouveau projet SeedAttach, financé par la Fondation et qui s’inscrit dans une certaine forme de continuité avec certaines activités de CoEx).
Bien sûr, il y a eu des tensions, mais nous avons choisi de travailler sur les tensions à l’origine même de ce que l’on construisait. On a parfois rencontré des réticences, de la part des chercheurs, à affronter les aspects conflictuels, mais au final, on en tire une leçon positive car cela a permis de forger des partenariats stables et durables. Le partenariat entre OP et chercheurs a obligé les uns et les autres à sortir de leurs habitudes pour réfléchir aux conditions d’une coexistence entre système formel et informel, et ainsi repenser leurs modes d’organisation.
Sélim Louafi
Mathieu Thomas (Cirad)